Par Sylvie Verdière
Psychologue Clinicienne
A Bois-Guillaume
Je vais aborder ici un sujet qui me tient à cœur: la prescription et l'usage massif de psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, etc.).
"Nous sommes les plus gros consommateurs de psychotropes du monde. Et cette situation ne cesse d'empirer. Plus d'un quart des Français consomme des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments pour le mental. 150 millions de boîtes sont prescrites chaque année." (site Doctissimo)
Ce premier article s'intéressera au "Contre"..., le deuxième qui suivra d'ici 15 jours au "Pour", avec ma conclusion personnelle qui n'engage que moi!
Introduction
L'importance que prend, depuis quelques décennies, l'approche biologique des troubles mentaux suscite de nombreux débats et polémiques avec des positions parfois extrêmes. La mise sur le marché en 1952 du premier psychotrope moderne, un neuroleptique, la chlorpromazine, a bouleversé les pratiques thérapeutiques et redéfini le champ d'intervention des psychothérapies. Se pose alors la question de savoir si les psychothérapies doivent dépendre de la médecine ou constituer un domaine de compétences indépendant...voire si les psychologues devraient ou non être habilités à prescrire des psychotropes. Les enjeux sont multiples, scientifiques, idéologiques...et commerciaux.

De "bons troubles psychologiques" pour les laboratoires?
Selon M. Geyer ("La psychopathologie, le psychologue clinicien et les psychotropes") la diffusion massive de nouvelles molécules comme les antidépresseurs mis sur le marché avec une agressivité commerciale sans précédents interroge le rôle des psychologues et de tous ceux qui travaillent dans le champ de la psychopathologie, quant à la place que ces psychotropes prennent dans les traitements...ou à la place des traitements. La démarche diagnostique du psychologue est à l'opposé d'une nosographie (description et classification méthodique des maladies) dont le seul objectif serait d'isoler un ou plusieurs symptômes de manière à ce qu'ils puissent correspondre à l'une ou l'autre des catégories d'antidépresseurs mis sur le marché! Il n'existerait alors plus que des troubles qui sont traitables par les médicaments disponibles! De la même façon, P. Pignarre utilise le concept de "niches écologiques", caractéristiques de certains troubles psychologiques qui sembleraient, à certains moments, prendre une nature épidémique. Il donne l'exemple de l'"anxio-dépression" qui a constitué une "niche" dans le vaste domaine de la dépression, "niche" très efficace pour assurer le lancement de nouveaux antidépresseurs venant à la suite du Prozac. La "niche" serait l'endroit idéal pour venir...nicher sa difficulté de vivre; elle est, pour une période donnée, le "bon trouble psychologique".
Le patient privé de réelles possibilités de reprise évolutive ?
Une autre critique formulée est que la chimiothérapie psychiatrique se focalise sur le symptôme et n'est pas étiologique (étude des causes et des facteurs d'une maladie): en effet, si pour une part de la médecine, la sémiologie (discipline médicale qui étudie les signes/symptômes des maladies) peut se suffire d'un modèle causaliste plus ou moins univoque (à la limite, peu importe ce que dit/pense le patient de sa maladie, par exemple la grippe), en psychopathologie, ce genre de sémiologie ne suffit pas: par exemple, pour un psychotique, les hallucinations et le délire disparaîtront si tout se passe bien, et c'est à ce moment-là qu'il se sentira mal et privé de sa liberté car, même dépossédé de son symptôme, le patient reste malade. Le patient se trouve ainsi débarrassé de son symptôme qui, pour être aberrant, n'en reste pas moins lié à son mode d'être. "L'être-là du schizophrène" (G. Pankow) n'est élaborable qu'à travers une rencontre de parole.
Ainsi, M. Geyer craint qu'en se contentant de cibler les symptômes gênants avec des médicaments, on coupe le patient de réelles possibilités de reprises évolutives.
Les psychotropes: un "outil" pour masquer les divergences ?
M. Geyer accuse également les psychotropes de servir parfois à masquer les divergences de points de vue concernant un patient hospitalisé: le biais de la médication éviterait alors toute discussion et apaiserait les tensions de l'équipe, brouillant alors les cartes de prise en charge. Selon lui, certains patients sont tellement confus, violents, opaques, etc. qu'ils provoquent des contre-attitudes...dont la prescription excessive de neuroleptiques.

Une relation "soignant-soigné" appauvrie?
Quant à P. Pignarre, il estime que les psychotropes ont "exigé" une nouvelle relation "soignant-soigné": "tu ne t'intéresses pas au contenu du délire d'un patient, à ses récits accompagnant sa dépression". Selon lui, la question qu'a en tête le psychiatre quand arrive un patient est "quel psychotrope vais-je lui prescrire?". Ainsi, en pédopsychiatrie, quand les médecins mobilisés par les laboratoires pharmaceutiques à l'origine de nouvelles formes de Ritaline, recevront les enfants avec cette question en tête devant toutes celles qu'ils se posaient jusque là, "quelque chose sera advenu qui ne se limite pas à l'aptitude à faire un diagnostic objectif". Selon P. Thomassin, "on recrute les enfants hyperactifs à 4 mois de grossesse!"
PREMIERE CONCLUSION
Ces exemples de polémique concernant la prescription et la consommation de psychotropes ne doit pas néanmoins empêcher d'être objectif et de reconnaître également les bienfaits des psychotropes.
C'est ce que nous verrons dans le prochain article du 3 décembre!
A bientôt!

Sylvie Verdière
Psychologue Clinicienne
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